Rob Álvarez Bucholska, professeur à l’IE Business School, défend fermement l’utilisation de la gamification dans les environnements académiques et de formation. Cette passion l’a conduit à réaliser et à produire un podcast appelé ‘Professor Game’, dans lequel il interroge un professionnel de la gamification chaque semaine, afin de lui demander de nous parler de son expérience et de ses idées sur l’application de la mécanique du jeu dans son activité habituelle.
Son podcast recueille désormais une conversation très intéressante avec Ibrahim Jabary, P.-D.G. de Gamelearn. Veuillez trouver ci-dessous un résumé de l’interview qui vous permettra de découvrir la personnalité et les projets de l’un des pionniers du game-based learning. En effet, Ibrahim Jabary dirige depuis 2007 Gamelearn, société de développement de jeux vidéo pour la formation en entreprise.
Rob Álvarez : Pourriez-vous nous décrire une journée typique de votre travail ?
Ibrahim Jabary : En général, j’ai des réunions tout au long de la journée. Certaines sont liées à la gestion de l’équipe et de la société, et d’autres, que j’apprécie particulièrement, se centrent sur la conception des jeux vidéo. J’aimerais pouvoir consacrer plus de temps à ces dernières, mais c’est malheureusement impossible.
En général, je suis plus libre en fin de journée et c’est à ce moment-là que je peux m’occuper de mes tâches. À partir de 19 heures, je commence à travailler sur mes idées et esquisses pour les nouveaux jeux, et à réfléchir aux décisions stratégiques de la société.
Rob Álvarez : Au cours de votre carrière, y a-t-il une erreur qui vous a permis de vous améliorer ?
Ibrahim Jabary : Ce n’est pas facile à choisir car j’en ai commis plusieurs. J’ai pu tirer des leçons de la plupart d’entre elles, mais je vais vous parler de ce qui s’est passé il y a environ 10 ans, lorsque j’étais en train de concevoir le deuxième jeu vidéo de Gamelearn. Il s’agissait du jeu Triskelion, notre serious game sur la gestion du temps et la productivité personnelle, et tout à coup ce fut le chaos. Il nous a fallu environ trois ans et demi pour terminer ce jeu vidéo et je pense que nous avons commis deux erreurs importantes, bien qu’il y en ait eu d’autres. La première fut d’externaliser la partie technologique, qui n’a malheureusement pas fonctionné correctement. À ce moment-là, nous avons compris qu’il valait mieux compter sur notre propre équipe de programmation et d’ingénierie. La deuxième erreur fut de nous baser sur l’immense succès de notre premier jeu et d’être trop ambitieux pour la réalisation du suivant. La première version du jeu s’est avérée trop longue et compliquée pour nos clients. En d’autres termes, nous avons priorisé la vision du concepteur du jeu au lieu de penser aux besoins réels et aux caractéristiques de nos utilisateurs, les employés de nos entreprises clientes. Nous avons ainsi appris à nous concentrer sur l’utilisateur, même au moment de la conceptualisation et de la conception du jeu. A partir de là, nous avons commencé à concevoir des jeux plus courts et avec une mécanique simple.
Rob Álvarez : Passons maintenant à quelque chose de plus agréable. Parlez-nous d’un moment qui vous a particulièrement marqué et où vous avez eu beaucoup de succès. Quelles clés ou leçons avez-vous pu en tirer ?
Ibrahim Jabary : Pas facile de choisir, car j’ai en tête beaucoup de moments merveilleux depuis la création de Gamelearn. Tous les jeux vidéo que nous avons produits nous ont apporté beaucoup de satisfaction et nous avons reçu divers types de feedback de nos clients. C’est une question de goût, et ils ne choisissent pas forcément les mêmes cours. Quant à moi, j’ai une certaine préférence pour le premier jeu, Merchants, notre serious game sur la négociation et la résolution de conflits. Nous avons commencé à partir de zéro, c’était le plus difficile à concevoir pour nous, car nous n’avions pas de références ni d’expériences antérieures. Ce fut une aventure passionnante, où en plus de construire l’histoire, nous avons dû concevoir le simulateur afin de permettre au joueur d’avoir l’impression de négocier réellement avec les personnages. Enfin, nous avons pu livrer à nos clients un produit qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Ce fut tout simplement incroyable ! De plus, Merchants nous a démontré l’acceptation du game-based learning comme méthodologie d’apprentissage au sein des entreprises et nous a poussé à continuer dans cette voie. Et c’est d’ailleurs ce que nous faisons encore aujourd’hui.
Rob Álvarez : Avez-vous réussi à identifier des éléments clés qui ont fait de ce jeu vidéo un véritable succès ?
Ibrahim Jabary : Merchants se base sur un contenu de très bonne qualité. Nous disposions d’un excellent cours de négociation avant que le jeu n’existe qui nous a servi de matière première. Puis, pouvoir reproduire le jeu de rôle de ce cours lors de la simulation du jeu a également été un facteur déterminant.
Le défi consistait à ce que le joueur ait l’impression de contrôler et de participer aux négociations présentées, en élaborant ses propres réponses, sans avoir recours à la méthode éculée de faire un choix entre différentes options fermées. Je pense que nous avons réussi à atteindre notre objectif.
L’utilisateur de ce jeu pouvait utiliser sa créativité pour faire des propositions uniques et personnelles aux personnages avec lesquels il devait négocier. Cela représenta la clé du succès.
Rob Álvarez : Suivez-vous toujours le même modèle lors de la conception de vos jeux vidéo ?
Ibrahim Jabary : À l’époque, comme nous n’avions pas de modèles de référence, nous avons développé notre propre processus. Il faut tout d’abord disposer d’un contenu de bonne qualité. C’est la première étape. Dans notre cas, nous détaillons tout d’abord ce que nous souhaitons enseigner aux destinataires de notre formation, puis nous réfléchissons à la façon dont nous présenterons ce contenu et comment les utilisateurs pourront mettre en pratique ces connaissances. Enfin, nous définissons la mécanique du jeu et créons l’histoire afin d’assurer l’engagement des participants.
Rob Álvarez : Lorsque vous créez vos solutions de game-based learning, suivez-vous des conseils particuliers ?
Ibrahim Jabary : Il suffit de suivre les quatre étapes que je viens de mentionner. Tout le monde sait que le contenu de la formation est très important, alors souciez-vous également de créer une histoire captivante. C’est l’histoire qui motivera les apprenants pour qu’ils terminent le cours.
Rob Álvarez : Enfin, souhaiteriez-vous inviter quelqu’un à participer à ce podcast pour que cette personne nous fasse également part de son expérience ?
Ibrahim Jabary : Il n’est pas lié au game-based learning , mais c’est probablement l’une de mes références principales en matière de conception de jeux vidéo. Il s’agit de Tim Schafer, qui a travaillé pour LucasArts et a participé à la création de jeux vidéo tels que Grim Fandango ou Broken Age.
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